{Monstres sacrés}
En 2005, sur le forum du Bookcrossing, (<- c'est le vrai thread, avis aux BX !) un petit exercice nous faisait résumer notre vie en 10 points. Voici ce que j’ écrivis à l’époque (pour les puristes, j'ai à peine modifié ma prose):
1. 1979: comme aiment à le répéter mes parents: je suis née un dimanche matin, à 8 (se prononce "ouïte" ouais c'est comme ca, vive l'alsace) heures du matin alors que les 1ers rayons de soleil pénétraient dans la chambre.
2. 1981: je reçois un de ces jouets désarticulés que quand tu appuies sur le fond ils plient du genou. C'est pour pas que je sois jalouse de la venue au monde de mon frère.
3. 1983: Je suis à la maternelle et Mickael et Dominique me volent mes Prosper Youpla Boum...
4. 1984: Laurence S. m'interdit de jouer avec les pneus dans la cour de récré. Elle ligue tout le monde contre moi.
5. 1988: Laurence S. m'invite à son anniversaire... 1/2 heure après les autres. Et au moment où j'arrive elle me fait chercher, va le chien, va, la balle qu'elle a lancée intentionnellement au bas de la rue (en pente, qui croise une route fréquentée). Elle a reçu la voiture Barbie, la caravane Barbie, la maison Barbie et le cheval Barbie. Je me console en mangeant toutes les bananes séchées.
6. 1989. Laurence S. scande joyeusement "Alice qui pisse dans les lys !" je garde ma superbe le temps d'arriver chez mamie puis je m'effondre, je pleure toutes les larmes de mon corps, et en prime je me fais gronder par Mamie à qui je ne réponds pas assez vite à son goût ma-is-j’-ai-ai-tr-op-de-de-de-san-g-g-lots-dans-la-v-v-v-oix.
7. 1990: Laurence S. déménage.
Je revis.
8. 1995: Laurence S. se retrouve dans le même lycée que moi. C’est fou comme la rancune est tenace, je n'ai rien oublié du choc psychologique qu'elle m'a infligé 10 ans plus tôt mais je la salue poliment et la gratifie même d’un sourire qui lui aurait sûrement fait peur si elle y avait vraiment prêté attention. Au fond de moi je récite un chapelet d’injures et la maudis sur 24 générations
9. 1996: Laurence S. change de lycée, ma vie peut enfin commencer.
10. 2005: Je me demande si je ne vais pas aller consulter... J'ai rêvé de Laurence S. cette nuit...
En 2010 il m’arrive encore de penser à Laurence S.
J’y pense à travers mon fils en me demandant quel genre d’enfants il va côtoyer durant sa scolarité, et les souvenirs ou les traumatismes qu’il va en garder.
Avez-vous aussi des ogres dans votre coffre à souvenirs ?
Petit edit suite au commentaire d’AnaPaula qui a remué une angoisse maternelle puisant ses racines dans le souvenir tenace de cette affreuse Laurence S. Je fais l’autruche. Je fais l’autruche parce que mon Crapaud va à la crèche et que ce sont les nounous à qui il incombe de faire l’éducation défensive de mon fils. Je fais l’autruche et sur ce point, pour le moment, ça m’arrange. Régulièrement je m’entends conter le soir que mon Crapaud s’est fait bousculer dans la journée, et qu’il s’est laissé faire. Et que les nounous lui expliquent qu’il ne doit pas accepter d’être malmené, qu’il doit dire non au petit copain qui veut lui prendre le jouet qu’il était le premier à ramasser. Je suis soulagée qu’elles lui apprennent à DIRE qu’il n’est pas d’accord avec le comportement « agressif » d’un autre enfant. Elles n’autorisent pas la riposte physique bien sûr. Mais dans une certaine mesure il faudra bien qu’il apprenne à s’en servir aussi. Plus tard comme tu dis AnaPaula, quand il aura appris à contrôler le mode reflexe. Oser dire à l’autre que l’on est blessé ou en désaccord avec ses mots ou ses gestes, c’est faire preuve de courage et c’est aussi la preuve d’un équilibre affectif puissant. Voilà ce que je souhaite pour mon fils. Qu’il soit conscient de sa valeur, de son importance et du fait qu’au niveau de l’humanité, il est l’égal de tous les autres, petits ou plus grands. Qu’il n’a pas à avoir peur d’affirmer son opinion et de défendre ses idées ou son corps. Mais pour le moment je fais l’autruche. Je fais l’autruche parce que quand je vois mon fils au square, bousculé par un plus grand, et qu’il reste de marbre, choqué et soumis, je ne sais pas quoi faire. Je n’OSE pas m’approcher, je n’OSE pas intervenir, je n’OSE pas affronter l’ENFANT qui malmène mon propre fils. J’ai peur de la mère de ce gamin, de ce qu’elle pourrait me rétorquer si je m’adressais à son rejeton. J’ai peur que l’ENFANT me réponde effrontément et que je n’aie pas l’à-propos de lui clouer le bec. Je redeviens la gamine soumise et bonne-poire que j’étais face à Laurence S. et ça me révolte. Mon fils a mes yeux, mes cheveux et mon rire. Mais je refuse qu’il copie la gentillesse naïve de mon enfance.